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Le dossier de la semaine : Protoxyde d'azote : le gaz qui ne fait plus rire

"Parler, conduire, marcher, tout est devenu difficile": Vincent, un ambulancier lillois de 37 ans, a failli devenir paraplégique après avoir inhalé du protoxyde d'azote, ou "gaz hilarant", une substance à la popularité croissante, mais dont les effets sur la santé peuvent être destructeurs.

"Je ne me rendais pas compte, on me disait: +Ne t'inquiète pas, il n'y a pas d'addiction+", raconte ce jeune père, qui a commencé à consommer ce gaz début 2020, pendant une mauvaise passe et alors qu'il tentait de s'affranchir du cannabis.

"J'ai la haine contre ce produit dévastateur", enrage-t-il aujourd'hui.

Facile à se procurer sur internet, le protoxyde d'azote est utilisé dans les siphons en cuisine, comme analgésique en médecine, et de plus en plus souvent à des fins récréatives.

Pendant des mois, Vincent --un nom d'emprunt-- inhale chaque soir une bonbonne de 600 grammes, seul dans sa chambre.

En juillet dernier, il se retrouve "paralysé des membres inférieurs et des mains".

"Le Samu m'a emmené en chaise roulante. J'ai été hospitalisé 10 jours", raconte-t-il. Il découvre alors que la moitié de sa moelle épinière est sclérosée.

Brûlures, asphyxies mais aussi problèmes neurologiques, voire cardiaques ou psychiatriques: les cas de troubles graves liés à la consommation de "proto" ont explosé ces dernières années.

- Ballons de baudruche -

Après un premier cas grave en 2018, 15 sont signalés dans les Hauts-de-France en 2019, 25 en 2020 et 47 en 2021, selon l'addictologue Sylvie Deheul, pour qui ces chiffres montrent une "augmentation préoccupante", mais restent en-deçà de la réalité.

Au niveau national, environ 200 cas préoccupants ont été signalés rien qu'en 2020.

Grâce à la rééducation, Vincent a recommencé à marcher, mais il souffre toujours de fourmillements incessants, de pertes de mémoire et de faiblesse musculaire.

Il devrait rester sous traitement anti-douleur "au moins pendant les 10 ou 15 prochaines années", assure-t-il. "J'ai tout arrêté. Mais un peu trop tard."

Après les capsules métalliques de 75g pour siphons détournées par des adolescents ou des fêtards pour une brève euphorie, depuis trois ans sont apparues des "bonbonnes" de 600g au marketing clairement festif, puis des "tanks" de plusieurs kilos, ouvrant la voie à une consommation intensive.

Les consommateurs remplissent des ballons de baudruche grâce à une sorte de buse installée au goulot du contenant, avant de les inhaler. Certains le consomment en posant un mouchoir directement sur le goulot, avec un risque accentué de brûlures par le gaz glacial.

- Répression limitée -

Les Hauts-de-France sont, avec l'Ile-de-France, l'une des régions les plus touchées.

Une loi adoptée en mai 2021 sur proposition d'une sénatrice du Nord, alertée par des maires de sa région, interdit la vente de ce psychotrope aux mineurs et sa commercialisation dans les débits de boissons et tabac. Mais la répression reste faible.

"On en est au début. Il faudra quelques décisions de justice pour se caler", explique à l'AFP Benoît Aloé, chef de la sûreté urbaine de Lille, dont les équipes effectuent régulièrement des rappels à la loi.

Le trafic s'est organisé, comme en attestent des saisies importantes: plus de 15 tonnes en neuf mois en France, entre juin 2021 et février 2022, selon la police judiciaire.

En soirée, "c'est bien vu" de proposer du "proto" pour "emballer les filles", explique le Dr Jean-Paul Guichard, qui intervient en prison dans des centres de dépistage gratuit. "Il ne laisse pas d'odeur, contrairement au cannabis et à l'alcool", ce qui facilite selon lui la consommation par les femmes.

En prison, le médecin a rencontré un revendeur et consommateur aujourd'hui en fauteuil roulant, sans espoir de remarcher un jour, faute de prise en charge rapide.

L'homme s'était présenté aux urgences avec des troubles moteur, mais le lien avec ce produit n'était alors que peu connu. Il avait été orienté vers un neurologue pour un rendez-vous deux mois plus tard.

- "Troubles de l'érection" -

Pour mieux comprendre, soigner et prévenir les troubles liés à la consommation de "proto", le CHU de Lille a lancé courant 2021 un groupe d'études pionnier.

Il rassemble neurologues, biologistes, métaboliciens, mais aussi psychiatres, addictologues ou pédiatres, qui échangent leurs expériences et lancent des pistes de recherches, notamment sur les effets à long terme.

"On ne sait pas toujours pourquoi certains ont des troubles après une consommation relativement faible", indique le biologiste Guillaume Grzych. "Ni pourquoi un nombre croissant de consommateurs présentent des thromboses", ces caillots sanguins qui bouchent des veines, avec risque d'embolie.

Arrivés aux urgences, "certains paraissent ivres, ne marchent plus droit", explique le Dr Céline Tard, neurologue à l'hôpital de Lille. "Parfois ils doivent se tenir au mur" ou avancer avec un déambulateur.

"Il y a aussi des troubles de l'érection, de la mémoire", ajoute la médecin. "On ne connaît pas encore toutes les conséquences de ce produit sur la santé."

Dans le laboratoire, le Dr Grzych s'interrompt pour répondre au téléphone : aux urgences, deux patients présentent des symptômes attribuables à la consommation de "proto". Des confrères s'interrogent sur les analyses à effectuer.

Le CHU a mis au point un parcours de soin qui commence à être utilisé dans d'autres hôpitaux de la région, ainsi qu'en Normandie et en Bretagne.

Mais les médecins appellent en urgence à limiter la taille des contenants en vente libre et à interdire le conditionnement en bonbonnes.

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