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Les cabines de désinfection, une solution «complètement débile» pour rouvrir les lieux publics

C'est à grand bruit médiatique que Geoffroy Roux de Bézieux, président du Medef, a visité, mardi 20 avril, les locaux de BeLifeline, une entreprise spécialisée dans l'assainissement. Au menu: portiques et sas de désinfection et lampes UV, supposés permettre de rouvrir lieux culturels, restaurants ou bars.

Sur le papier, la proposition est séduisante. L'exposition continue aux UVC lointains dans les lieux publics occupés entraînerait une inactivation virale du Sars-CoV-2 de 90% en 8 minutes et jusqu'à 99,9% en 25 minutes. Les portiques dotés d'un système de désinfection par ionisation permettraient une réduction de la charge virale de l'ordre de 99,9999%.

C'est la promesse d'Isola, produit phare de la jeune entreprise française, née de la rencontre entre Bisley France, le spécialiste de l'aménagement d'espaces tertiaires et AS Conseil EPI, importateur de produits et solutions sanitaires.

Geoffroy Roux de Bézieux teste le tunnel Isola de BeLifeline, le 20 avril 2021. | Éric Piermont / AFP

Le modèle est résolument futuriste, avec contrôle du port du masque, prise de température et reconnaissance faciale. Il coûte près de 30.000 €. Le jeu en vaut-il la chandelle? Répondons d'emblée: non.

«C'est complètement débile, s'étouffe la Dr Corinne Depagne, pneumologue et membre du collectif Du côté de la science. Je ne vois pas comment on peut éviter une infection respiratoire en douchant quelqu'un ou en l'exposant à une désinfection par ionisation.» En effet, c'est lorsqu'une personne contaminée respire, parle, baille, mange, chante, tousse, éternue… qu'elle excrète le virus. La pneumologue explique la raison de son incrédulité: «Nous savons maintenant que 30 à 59% de la contagion au Sars-Cov-2 se fait par aérosols. Le reste est essentiellement le fait des postillons. La transmissions manuportée et par les surfaces est anecdotique.»

Autant dire que désinfecter la peau, les cheveux et les vêtements d'une personne apparaît aussi superflu qu'inutile pour sécuriser les lieux ouverts au public puisqu'on ne peut tout simplement pas l'empêcher de respirer. Et le virus ne se transmet pas par les pores de la peau. La seule contamination que l'on pourrait éventuellement empêcher par ce biais serait si la personne toussait ou se mouchait dans son coude et qu'une autre venait lécher ledit coude… Ce qui est pour le moins improbable.

«C'est comme si nous étions restés bloqués en mars 2020 avec des connaissances très sommaires.» Hélène Rossinot, médecin en santé publique

«Cela me fait mal au cœur pour les restaurateurs qui seraient tentés d'investir dans de telles solutions parce que tout ce qu'ils souhaitent, c'est rouvrir et accueillir leurs clients en sécurité. Ce ne sont pas ces dispositifs qui vont le permettre, réagit vivement Dr Hélène Rossinot, médecin en santé publique, également membre de Du côté de la science. C'est comme si nous étions restés bloqués en mars 2020 avec des connaissances très sommaires sur les modes de transmission et une surestimation de la transmission manuportée.»

Éric Billy, chercheur en immuno-oncologie, déplore quant à lui un «dogme du manuportage, qui a empêché de prendre les bonnes mesures suffisamment tôt».

Considérer que le virus se transmet par les surfaces est, il est vrai, relativement rassurant: on peut agir efficacement par soi-même, en se lavant les mains régulièrement ou en nettoyant les surfaces potentiellement contaminées. Mais, à l'instar des portiques, cela donne une impression de sécurité qui pourraient faire oublier des mesures autrement plus essentielles, comme le port du masque ou l'ouverture des fenêtres.

«Les gens sont positivement surpris quand on leur explique qu'ils peuvent se protéger en ouvrant les fenêtres», relate la Dr Hélène Rossinot. Effectivement, aérer et ventiler les espaces clos est le meilleur moyen de «diluer» les aérosols qui auraient échappé au port du masque. Plutôt que d'investir dans des solutions aussi onéreuses qu'inutiles, le premier achat à effectuer serait celui d'un capteur de CO2 qui permet de s'assurer que l'air est suffisamment renouvelé –dès que la concentration en CO2 dépasse 700-800 ppm (parties par million), cela signifie qu'il est temps de créer des flux d'airs dans la pièce. À titre de comparaison, l'air extérieur présente un taux de CO2 d'environ 400 ppm.

Dans les espaces clos sans fenêtre, on pourra aussi prévoir des systèmes de ventilation et d'extraction d'air. Certains cinémas récents en sont dotés –ce qui explique que ceux-ci auraient pu rester ouverts, comme les trains ou les avions. Dès lors que les spectateurs ou les passagers portent le masque, le risque de transmission devient véritablement faible.

Mais alors, qu'envisager pour les restaurants qui sont fatalement des lieux où le port du masque en permanence est exclu? «En l'état actuel de forte circulation du virus, rouvrir les salles de restaurants serait irresponsable», explique Corinne Depagne.

Pour Éric Billy, il faudrait donc privilégier l'extérieur. «Si on va au restaurant en terrasse avec les personnes de sa bulle familiale, et si tant est que les tables entre les différentes bulles sont suffisamment espacées, le risque est fortement réduit. En revanche, si l'on veut manger avec des gens extérieurs à sa bulle familiale, il faut absolument respecter les distances car si les aérosols sont dilués, la transmission par postillons demeure possible.»



Le chercheur insiste sur la granularité des situations et l'importance de faire du cas par cas: «Un certain nombre de restaurateurs ne veut pas rouvrir sur la base d'un protocole inefficace qui risquerait de les faire fermer à nouveau leurs portes! Aujourd'hui, les protocoles fournis par le gouvernement sont très généraux. Or, chaque restaurant est différent, avec des configurations et des possibilités d'aération/ventilation propres. Il faudrait que chacun puisse être conseillé par des experts en mécanique des fluides afin de trouver des solutions adaptées.»

Reste que l'incapacité chronique du gouvernement à anticiper n'a pas permis ce type de consultations qui auraient pu être mises en place depuis la fermeture des restaurants et des lieux culturels… On préfère donc à des solutions pérennes et fiables des dispositifs à l'efficacité supposée immédiate. Sauf que d'efficacité et d'utilité, il n'y en a guère. La Dr Corinne Depagne rappelle que «nous sommes dans une situation critique du point de vue de la contagion. Nous ne pouvons pas aujourd'hui vivre comme avant et nous devons changer nos façons de faire».

Plutôt que d'espérer des solutions miracles, profitons donc de l'été pour jouir des terrasses, des spectacles et concerts à ciel ouvert et des drive-in. Le tout, en gardant nos masques, et en espérant que, bientôt, le taux de vaccination soit suffisant pour retrouver nos loisirs d'avant.

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