"Un égout à ciel ouvert".
Stu Davies surfe parfois dans des conditions pestilentielles dans le sud de l'Angleterre où, comme ailleurs au Royaume-Uni, des compagnies des eaux procèdent à des déversements dangereux pour la nature et pour la santé.
Déjections humaines, lingettes, tampons... Les eaux usées non traitées évacuées dans la mer et les rivières charrient leurs lots de rejets nauséabonds, suscitant l'ire des riverains qui se mobilisent contre ces pratiques, autorisées dans certaines circonstances.
"J'ai surfé dans des eaux d'égout sur cette côte, c'est répugnant", témoigne Stu Davies, membre de l'association Surfers Against Sewage (SAS), interrogé par l'AFP sur la digue de la station balnéaire de Brighton.
A deux pas, l'ouverture grillagée d'un déversoir d'orage pointe discrètement, donnant directement sur la plage et la populaire jetée, avant d'être lentement immergée par la marée montante. Des infrastructures similaires jalonnent les côtes britanniques.
En cas de rejet, "vous remarquez tout à coup l'odeur d'égout, vous sentez les excréments et vous pouvez en voir, ainsi que d'autres choses jetées par les gens dans les toilettes", détaille-t-il. Il y a la couleur aussi, "brunâtre".
Par très fortes pluies, les compagnies des eaux peuvent procéder à ces déversements afin d'éviter l'engorgement d'un réseau d'égout datant souvent de l'époque victorienne et donc des remontées vers les bâtiments.
Selon SAS, qui milite pour des eaux propres, les compagnies des eaux ont signalé plus de 5.500 rejets sur l'année achevée fin septembre, soit une hausse de 87,6% en un an.
'association, qui a développé une application pour alerter nageurs et surfeurs, relève que de plus en plus de rejets interviennent lors d'"épisodes de pluie normaux", et non des précipitations exceptionnelles. Elle estime aussi le chiffre largement sous-estimé car il ne concerne que les eaux côtières.
Ces rejets sont utilisés comme "un moyen régulier de rejeter des eaux usées", soutient Hugo Tagholm, directeur de SAS, à l'AFP.
- Otites à répétition -
Les cours d'eau ne sont pas épargnés. Selon l'Agence de l'environnement, seulement 14% des rivières anglaises étaient considérées comme satisfaisantes d'un point de vue écologique en 2020.
Le Dr Christian Dunn, du département de sci
ences naturelles de l'université galloise de Bangor, parle d'une "potion mortelle" combinant eaux usées, pollution agricole et industrielle, susceptible d'exterminer toute vie aquatique.
Les nageurs font les frais aussi de la présence d'agents pathogènes. Par une grise matinée de décembre, Susan Moate ne renonce pas à sa plongée quotidienne dans l'eau froide et opaque de la rivière Ouse, qui coule à Lewes.
Plus question pour cette professeur de violon de 38 ans d'immerger sa tête, après des otites à répétition. Normal, lui a dit le médecin, quand on nage "dans de l'eau sale".
Même constat à Whitstable, station balnéaire sur l'estuaire de la Tamise, avec ses huîtres... et l'usine de traitement des eaux Southern Water. "Beaucoup d'habitants nous disent qu'ils ont été malades, ou que leur chien l'a été", explique à l'AFP Elane Heffernan, du groupe SOS Whitstable.
L'entreprise de traitement des eaux a été condamnée en juillet à une amende record de 90 millions de livres (106 millions d'euros) après avoir reconnu près de 7.000 rejets illégaux dans la mer et des rivières entre 2010 et 2015.
Ces divers déversements ont duré "61.704 heures au total, l'équivalent de plus de sept ans", a souligné l'Agence de l'environnement. Certains habitants vont jusqu'à boycotter le paiement de leurs factures d'eau --avec le soutien du chanteur Bob Geldof.
"Nous savons que notre performance doit s'améliorer", concède Southern Water dans un communiqué, disant consacrer "2 milliards de livres pour réduire les incidents polluants de 80% d'ici 2025".
En novembre, l'Agence de l'environnement et le régulateur du secteur ont annoncé enquêter après que certaines entreprises ont admis des rejets non autorisés.
Sous forte pression de l'opinion, le gouvernement a fini par inclure dans sa nouvelle loi post-Brexit sur l'environnement, l'obligation pour les compagnies des eaux de réduire "significativement" les rejets des déversoirs d'orage.
Sans attendre ce projet et avant la mise en service en 2025 d'un nouveau système d'égouts, la City de Londres, responsable des questions sanitaires pour le port de la capitale, a appelé mercredi l'Etat à renforcer ses contrôles sur les déversements dans la Tamise.
Pour Hugo Tagholm, il faut aller plus loin et les contraindre à investir bien davantage dans leurs infrastructures, avec l'objectif de zéro rejet dans les eaux de baignade d'ici 2030.
Car depuis la privatisation du traitement de l'eau en 1989, juge-t-il, ces entreprises privilégient "les profits plutôt que les gens ou la planète".
Selon une analyse du Financial Times, les investissements dans les infrastructures pour les eaux usées ont chuté de près de 20% depuis les privatisations.
Par Martine PAUWELS
© 2021 AFP
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