Le phénomène est ancien mais la «francisation» des fruits et légumes sévit de plus en plus sur les marchés. Cette pratique commerciale frauduleuse «consiste à faire croire aux consommateurs que les produits sont d’origine française alors qu’ils ne le sont pas- en remplaçant par exemple des étiquettes origine Espagne par d’autres indiquant une origine France, ou en éditant de fausses factures sur lesquelles sont inscrits ‘‘origine : France’', résume, à Libération Romain Roussel, directeur de cabinet à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).
Si la DGCCRF dit multiplier les missions de surveillance, ce lundi encore, un grossiste en fruits et légumes s’est retrouvé au cœur d’une vaste enquête, soupçonné d’avoir fait passer pour des produits français des centaines de tonnes de courgettes, poivrons, de courges ou encore d’asperges espagnoles depuis deux ans. A cause de fausses étiquettes et factures, il était «impossible pour ses clients, et le consommateur final, de s’apercevoir qu’il s’agissait, en fait, de légumes espagnols», précise la préfecture des Bouches-du-Rhône.
Ces actions trompeuses pour les consommateurs représentent aussi un handicap important de l’autre côté de la filière, selon Patrice Vulpian, producteur d’abricots et de pêches et co-président de la Fédération nationale des producteurs de fruits, interrogé par Libération.
Cette pratique est due principalement au fait que législation en Europe n’est pas la même pour tout le monde. En Espagne, ils ont un avantage concurrentiel énorme avec un coût de production qui est bien plus bas que le nôtre, ce qui fait qu’ils peuvent revendre des fruits bien moins chers que les nôtres en restant bénéficiaires.
Ce phénomène s’est aussi aggravé cette année à cause de la météo et notamment des épisodes de gel qui ont entraîné de nombreuses pertes et une augmentation des prix de la marchandise française, devenue plus rare. Pour certains producteurs qui n’avaient plus beaucoup de marchandises, l’occasion a peut-être été trop tentante.
Mais c’est un véritable coup de poignard pour les producteurs enchaînés à leur coût de production, qui se retrouvent face à des personnes qui font illégalement des avantages sur les prix avec une énorme marge.
En effet, il y a une réelle difficulté à attraper ce genre de personne sur le fait et à prouver les choses. Tandis que pour frauder, il suffit de changer une étiquette sur une cagette et il est encore impossible aujourd’hui de pouvoir déterminer au travers d’une analyse de quelle région vient un produit.
Donc évidemment, pour des gens mal intentionnés, cela leur permet de gagner très facilement 30 à 40 centimes par kilo. Je vous laisse imaginer les bénéfices pour des semi-remorques qui transportent plusieurs dizaines de tonnes…
C’est le rôle de la DGCCRF. Mais à notre échelle, il faut être attentif aux différences de prix trop importantes qui ne peuvent être expliquées que par une «francisation». Concrètement, une pêche de calibre B qui se vend 1,20 euros, c’est qu’il y a un problème car cela doit se vendre 2,10 euros. C’est compliqué pour les consommateurs, je le reconnais, mais s’ils s’interrogent sur la provenance les fruits qu’ils achètent, c’est toujours ça de pris.
Plus largement, il faut que tout le monde se responsabilise, y compris les centrales d’achat, qui se justifient avec des factures sur lesquelles il est indiqué qu’il s’agit de fruits français et qui ne cherchent pas à en savoir plus en fermant les yeux sur le reste. Elles sont aussi coupables, car leur devoir est de savoir d’où viennent précisément leurs produits, d’autant plus que c’est un petit monde où, quand on veut avoir une information, on peut l’avoir facilement.
De notre côté, nous avons demandé au procureur de la République de nous prévenir afin que nous nous portions partie civile pour chaque affaire. Cette année, nous avons eu gain de cause sur trois procès différents de «francisation», notamment de kiwi.
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