Après avoir scandé que les chasseurs étaient «les premiers écologistes de France», réalisé une série de vidéos sur les réseaux sociaux «Etre chasseur : pourquoi pas vous» avec une chasseuse mangeuse de quinoa, multiplié les partenariats avec des influenceurs, la Fédération nationale des chasseurs fait désormais sa promotion à la télévision. Une étape inédite dans l’offensive médiatique menée depuis plusieurs années pour redorer son image face à des anti-chasses de plus en plus déterminés. Depuis ce mardi et pendant un mois, une nouvelle campagne de pub s’affiche sur petit écran pour nous vendre «la chasse, le bonheur grandeur nature». Le socio-anthropologue Christophe Baticle, spécialiste de la ruralité, analyse cette nouvelle évolution de la communication des chasseurs, qui peut s’avérer contre-productive.
Pourquoi cette offensive de communication aujourd’hui de la part des représentants des chasseurs ?
On voit bien que les chasseurs essayent de contrebalancer ce qu’ils estiment être des attaques injustes à leur égard, notamment vis-à-vis des chasses dites traditionnelles [chasse à la glu, chasse à courre, déterrage des blaireaux, ndlr]. Avec certainement le sentiment d’être à la croisée des chemins : continuer avec le «vivons bien, vivons cachés» ou au contraire «communiquons, n’hésitons pas» ? On observe dans notre société aujourd’hui un retournement dans le rapport à l’animalité, la naturalité. Il y a une sorte de philosophie morale depuis une dizaine d’années, et la chasse est devenue un sujet sensible.
Cette pratique chez les peuples autochtones ne pose pas problème. Là où ça frotte, c’est sur la question du plaisir, du loisir. Le critère éthique se met en place. Or les chasseurs ont l’impression d’être un rempart, une vigie du monde rural, comme disait Jean Saint-Josse, l’ancien leader du parti politique Chasse pêche et traditions. Il faudrait préserver un monde qui se vit comme mis en accusation, décrié en monde des «sauvages». Il y a l’idée que nous serions dans une période où soit on communique, soit on disparaît. C’est le syndrome d’Instagram : je diffuse donc j’existe. Il va aussi y avoir les élections régionales, les chasseurs seront présents dans un certain nombre de circonscriptions.
Est-ce que la surenchère de com peut être une stratégie efficace ?
Il y a l’illusion de produire et de contrôler son image. Mais cela impliquerait d’être capable de conditionner le regard de l’autre, or l’autre n’a pas la même socialisation que vous et ne verra pas ce que vous voudriez qu’il voie. C’est l’erreur fondamentale. L’image que l’on veut surveiller se retourne en permanence. Comme dit Pierre Bourdieu, l’opinion publique n’existe pas. La société de communication croit que si l’on explique la chasse aux non-chasseurs, on va convaincre et recruter. C’est plus compliqué que ça. L’anthropologue Jean-Pierre Warnier montre qu’avec la chasse, quelque chose se joue au niveau du corps. C’est un corps qui se confronte à d’autres corps, le corps de l’animal d’abord, vivant ou mort. Il y a quelque chose de sensitif et de la socialisation profonde, un côté rugueux, dur.
La pub diffusée à la télé semble bien éloignée de cette réalité-là…
En effet, dans ce spot, «ceci n’est pas une chasse». Il y a un «effet Magritte». Aujourd’hui, on voit des personnes s’assumer en tant que chasseurs tout en sachant qu’ils doivent produire une image présentable. On montre les cocotiers plutôt que l’âpreté de la chasse, l’acte de mise à mort, ou encore le travail qui est pourtant une valeur très présente dans ce milieu. C’est l’instagrammisation de la chasse. L’influenceuse Johanna Clermont a beaucoup fait parler d’elle autour du glamour cynégétique. Ce spot est une sorte de selfie cynégétique. Je me filme, je ne prends pas d’acteurs, les chasseurs jouent leur propre rôle.
Quelles représentations du monde de la chasse retrouve-t-on dans ce spot ?
Il met l’accent sur la dimension de sociabilité, de rite initiatique. Il y a l’idée de la transmission, de l’apprentissage par rapport à la nature. La sociabilité est cependant revisitée : d’habitude elle est virile, mais mouvement féministe oblige, les chasseurs ont mis du féminin, alors que les femmes ne représentent que 2,5 % des pratiquants de la chasse. Le spot met aussi en avant ce qui relève du repas, c’est d’ailleurs le seul moment où on voit un animal mort. Il y a un côté «belle époque», on n’est plus dans le confinement, on se laisse bercer au travers des paysages. L’autre grand thème présent chez les chasseurs est l’idée d’être libre, dans un espace de jeu construit par les actions humaines, d’agir dans la nature pour le maintien de la biodiversité.
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